Page 47 - #BalanceTonPresident
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Ça branle dans le manche


           Le cortège n’était pas encore parti que les gaz empoisonnaient déjà
          l’atmosphère, sous un petit †0° à l’ombre. L’immense foule a fait
          quelques détours pour arriver sur les quais de Seine et le cortège a
          pris son rythme de croisière jusqu’à un peu avant la Bastille, où les
          poubelles ont commencé à être brûlées. De Bercy à la Bastille, tout
          s’est relativement bien passé, malgré quelques embrouilles. Sur la
          place, les Algériens nous ont accueillis en musique et les touristes
          nous félicitaient de notre détermination. Il y avait aussi beaucoup de
          presse étrangère. Comme ils sont sur place pour Notre-Dame, ils se
          sont fait un plaisir de relayer dans le monde entier, nos luttes, votre
          intransigeance, l’argent de vos amis, etc. Après toutes les arrestations
          de leurs confrères, je suppose qu’ils ont peaufiné votre publicité.
           Un peu lasses, sous la chaleur écrasante, nous étions avec la bande-
          role en fin de cortège quand à hauteur du métro Bréguet-Sabin, on
          s’est retrouvées coincées devant le petit square. Je connais très bien le
          quartier, j’y ai passé trente ans de ma vie, et c’est en toute impunité
          que j’ai accroché la banderole aux grilles du square. Le chef a mis au
          moins dix minutes à réagir et il nous a fait comprendre qu’il ne riait
          plus. On a été parquées un moment dans le square avant de rouler la
          banderole et de faire les vieilles un peu plus sages. J’ai été frappée par
          la jeunesse des crs, c’était des enfants. Leur regard était presque vide,
          désappointé. Je n’en avais jamais vu d’aussi jeunes, j’étais navrée que
          vous utilisiez la jeunesse pour ça. Vous devriez avoir honte.
           Au loin, au carrefour Richard Lenoir/Voltaire, ça pétait dur et on
          ne pouvait plus rejoindre le cortège. On s’est détournées vers la rue
          Amelot pour rejoindre la place de la République et on a passé les bar-
          rages comme des chefs, avec la banderole enroulée dans un camouflage
          digne de mon grand-père. J’avais aussi une arme secrète en option, que
          vous me permettrez de ne pas vous dévoiler ici. À notre arrivée, la place
          était à moitié vide et nous avons rapidement compris pourquoi.
           Une de nos vieilles était nassée à Saint-Ambroise et tous les accès
          à la place avaient été bloqués par les crs. C’est là que les manifestants
          se sont dirigés sur Jules Ferry la rage au ventre. Ils ont brûlé tout ce
          qu’ils trouvaient et une épaisse fumée noire envahissait le quartier.
          Depuis la place, nous ne voyions que cela, mais là, j’ai regardé les
          images et j’ai compris votre talent. Vous savez parfaitement fabriquer
          la violence. Vous rendez fous les gens, puis vous les accusez de tous
          les maux. Excusez-moi de vous le dire, mais beaucoup d’hommes font
          cela. Le monde patriarcal est le vôtre et nous nous battons aussi contre
          cela.

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